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bombe dans le cabinet de Mme Sipiaguine, s’écriait :

« Valentine Mikhaïlovna ! Si vous saviez ce que votre mari a fait ! Un nihiliste s’était introduit chez vous, et voilà qu’il en amène un autre ! Et celui-là est encore pire que le premier !

— Pourquoi donc ?

— Pourquoi ? Il énonce Dieu sait quelles opinions ; et puis, remarquez ceci : il a causé pendant une heure entière avec votre mari, et il ne lui a pas dit une seule fois « Votre Excellence » ! Le vagabond ! »


XXIV


Avant le dîner, Sipiaguine appela sa femme dans son cabinet. Il avait besoin de causer avec elle en tête-à-tête.

Il lui fit part de la triste situation de la fabrique ; il ajouta que Solomine lui faisait l’effet d’être un homme intelligent, quoique un peu… cassant, et qu’on devait continuer à être avec lui aux petits soins.

« Ah ! si on pouvait l’attirer ici, quelle bonne affaire ce serait ! » dit-il à deux reprises.

Sipiaguine était fort vexé de la présence de Kalloméïtsef…

« Diable soit de lui ! Il voit partout des nihilistes, et il ne pense qu’au moyen de les exterminer ! Eh bien, qu’il aille les exterminer chez lui ! Il n’est pas capable de tenir sa langue ! »

Mme Sipiaguine lui fit observer qu’elle ne demandait pas mieux que d’être « aux petits soins » avec le nouveau visiteur ; mais que celui-ci avait l’air de n’avoir aucun besoin de ses petits soins, et de n’y pas faire la moindre attention ; ce n’est pas qu’il fût grossier, mais il était indifférent à tout, chose très-étonnante de la part d’un homme du commun.