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Je vois à votre air, dit-il enfin au jeune homme, que vous n’êtes pas content de ma fabrique, et je sais bien, moi, qu’elle n’est pas dans de bonnes conditions, qu’elle est d’un mauvais rapport ; mais dites-moi au juste… je vous en prie, sans cérémonie… quels sont ses principaux défauts ? Et que pourrait-on faire pour les corriger ?

— La fabrication du papier n’est pas de mon ressort, répondit Solomine ; tout ce que je peux vous dire, c’est que les établissements industriels ne sont pas l’affaire des gentilshommes.

— Vous regardez ces occupations comme humiliantes pour les gentilshommes ? lui dit Kalloméïtsef.

— Oh non ! pas du tout. Qu’y a-t-il d’humiliant là-dedans ? Du reste, quand même il y aurait quelque chose de semblable, la noblesse n’est pas à cela près.

— Quoi ? Comment ?

— Je veux dire simplement, continua Solomine d’un air paisible, que les nobles ne sont pas habitués à ce genre d’occupation. Il faut pour cela avoir un esprit commercial, mettre tout sur un autre pied ; il faut avoir de la suite et de la patience. Les nobles n’entrent pas dans ces considérations. Aussi que voit-on toujours et partout ? Ils établissent des fabriques de drap, de papier, des filatures, et, au bout du compte, dans les mains de qui toutes ces fabriques tombent-elles ? Dans les mains des marchands. C’est dommage, car les marchands sont de vraies sangsues. Mais il n’y a rien à y faire.

— À vous entendre, s’écria Kalloméïtsef, nous autres nobles, nous ne pouvons rien comprendre aux questions financières ?

— Oh ! bien au contraire ! Les nobles sont passés maîtres en fait de finances… d’un certain genre. Quémander et recevoir des concessions de chemins de fer, organiser des banques, obtenir des monopoles, et tout ce qui s’ensuit, personne ne vaut les nobles pour cela ! Ils constituent de cette façon de grands capitaux. C’est à cela que je faisais allusion, quand vous avez pris la peine de vous