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Au moment où ils sortaient de la maison, ils rencontrèrent Kalloméïtsef.

« Où allez-vous comme ça ? demanda-t-il à Sipiaguine en jetant un regard de travers sur Solomine… À la fabrique ? C’est là l’individu en question ? »

Sipiaguine ouvrit de gros yeux et secoua légèrement la tête pour l’engager à la prudence.

« Oui, à la fabrique… montrer mes péchés et mes misères à monsieur le mécanicien que voilà. Permettez-moi de vous présenter monsieur Kalloméïtsef, un propriétaire de nos voisins, monsieur Solomine… »

Kalloméïtsef fit un ou deux hochements de tête presque imperceptibles, sans se tourner du côté de Solomine ; lui, au contraire, regarda fixement Kalloméïtsef, et quelque chose de particulier passa dans ses yeux à demi fermés…

« Peut-on vous accompagner ? demanda Kalloméïtsef. Vous savez que j’aime à m’instruire.

— Sans doute. »

Ils débouchèrent de la cour sur le chemin. À peine avaient-ils fait vingt pas qu’ils aperçurent le prêtre de la paroisse, qui, sa soutane retroussée, retournait au presbytère. Kalloméïtsef se détacha du groupe, marcha à pas fermes et rapides vers le prêtre, qui ne s’attendait pas à cela et qui se sentit un peu intimidé, lui demanda sa bénédiction, mit sur sa main rouge et couverte de sueur un baiser retentissant, et, se tournant vers Solomine, lui jeta un regard provocateur. Évidemment il avait des données sur le nouveau venu ; il voulait donner une leçon à ce manant qu’on disait être si savant.

« C’est une manifestation, mon cher ? » lui dit Sipiaguine entre ses dents.

Kalloméïtsef se rebiffa :

« Oui, mon cher, une manifestation nécessaire par le temps qui court ! »

Arrivés à la fabrique, ils furent reçus par un Petit-Russien à immense barbe et à fausses dents, qui avait