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un autre lointain invisible, encore à venir, visible pour elle, — son regard était brûlant…

Néjdanof se pencha vers elle en s’inclinant jusqu’à ses genoux :

« Ô Marianne, murmura-t-il, je ne suis pas digne de toi. »

Elle tressaillit tout à coup.

« Il est temps de rentrer vite, s’écria-t-elle, sans quoi on enverra encore à notre recherche ! Du reste, je crois que Mme  Sipiaguine a renoncé à s’occuper de moi. À ses yeux, je suis « une perdue ».

Marianne, en prononçant ce mot, avait sur son visage une expression de joie si radieuse, que Néjdanof, le regard dans les yeux de la jeune fille, ne put s’empêcher de sourire en répétant : « Perdue ! »

« Seulement elle est horriblement blessée, continua Marianne, de ce que tu te permets de n’être pas à ses pieds. Mais tout cela n’importe guère ; écoute… naturellement je ne peux pas rester ici… mais voilà… il faudra nous enfuir !

— Nous enfuir ?

— Mais oui, nous enfuir… tu ne voudrais pourtant pas rester, n’est-ce pas ? Nous partirons ensemble. Il faudra que nous travaillions ensemble… tu viendras avec moi ?

— Au bout du monde ! s’écria Néjdanof, et sa voix vibra soudainement sous le coup d’une émotion, d’une reconnaissance tumultueuse. Au bout du monde ! »

Dans ce moment-là, en effet, il serait allé avec elle, sans regarder en arrière, n’importe où elle l’aurait conduit.

Marianne le comprit, elle poussa un soupir court et heureux.

« Eh bien, prends ma main… seulement, ne la baise pas… et serre-la fortement, en camarade, en ami… comme ça ! tiens ! »

Ils retournèrent ensemble à la maison, silencieux, calmes,