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lui qui dirige tout ; sans discipline, notre œuvre ne marcherait pas ; il faut savoir obéir. (Et tout cela aussi n’est que fadaises, pensa de nouveau Néjdanof.)

— Comment est-il fait ?

— Il est petit, trapu, basané ; il a un visage rude, à pommettes saillantes, —une tête de Kalmouk ; — mais les yeux sont très-vifs.

— Et comment parle-t-il ?

— Il commande plutôt qu’il ne parle.

— Et pourquoi est-il le chef ?

— C’est un homme de grande volonté. Il ne cède devant personne. Il tuerait plutôt quelqu’un, si c’était nécessaire. Bref, on a peur de lui.

— Et Solomine, comment est-il ? demanda Marianne au bout d’un moment.

— Solomine non plus n’est pas beau ; mais il a une excellente figure, simple et loyale. On rencontre des têtes comme cela parmi les séminaristes, parmi les bons, s’entend. »

Néjdanof décrivit Solomine en détail. Marianne regarda Néjdanof longtemps… longtemps… Puis, comme se parlant à elle-même :

« Toi aussi, tu as une bonne figure. Je crois qu’avec toi la vie doit être facile. »

Ces paroles touchèrent Néjdanof, qui lui prit de nouveau la main et voulut la porter à ses lèvres.

« Pas tant d’amabilités, lui dit Marianne en riant ; elle riait toujours quand on lui baisait la main. —Tu ne sais pas, continua-t-elle, j’ai un pardon à te demander.

— Comment cela ?

— Voici. Pendant ton absence, je suis entrée dans ta chambre, et j’ai vu sur la table un petit cahier de poésies… (Néjdanof tressaillit, il se rappela qu’il avait en effet oublié ce petit cahier sur sa table) et je te le confesse, je n’ai pas pu résister à ma curiosité, et j’ai lu. Ce sont des vers de toi, n’est-ce pas ?