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Néjdanof parlait. Et lui, on eût dit qu’il évitait tout ce qui pouvait donner à cette question une réponse positive. Il finit par s’apercevoir lui-même qu’il appuyait précisément sur les détails auxquels Marianne s’intéressait le moins… et qu’il y revenait malgré lui :

Ses descriptions humoristiques éveillaient l’impatience chez Marianne ; le ton désenchanté ou triste la peinait… Elle ne voulait entendre parler que de l’« œuvre », de la « question ». Sur ce point, aucun discours ne lui semblait prolixe. Cela rappelait à Néjdanof le temps où il n’était pas encore étudiant, et où, passant l’été à la campagne chez des amis, il avait eu l’idée de raconter des contes à leurs enfants ; eux non plus n’appréciaient ni les descriptions, ni les récits d’impressions purement personnelles… eux aussi demandaient de l’action, des faits ! Marianne n’était pas une enfant, mais elle en avait les impressions vraies et simples.

Néjdanof vantait sincèrement et chaudement Markelof, et parlait de Solomine avec une sympathie toute particulière.

Au milieu de ses discours enthousiastes, il se demandait à lui-même sur quoi il basait la haute opinion qu’il se faisait de cet homme : Solomine, en effet, n’avait rien dit de particulièrement remarquable, et certaines de ses paroles avaient même été directement à l’encontre de ses convictions à lui, Néjdanof…

« C’est un caractère équilibré, se dit-il, voilà ; c’est un homme exact, posé, frais, comme a dit Fimouchka ; c’est un homme ; une force tranquille et solide ; il sait ce qu’il veut et il a confiance en lui-même, et il éveille la confiance ; il ne se trouble jamais… L’équilibre, l’équilibre !… voilà l’important ; et c’est justement ce qui me manque. »

Néjdanof s’interrompit et resta plongé dans ses réflexions.

Tout à coup, il sentit une main se poser sur son épaule.