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près de la roue droite de devant, je m’étais un peu trompé, j’avais pris à gauche… mais ça n’est rien, à présent ! nous serons arrivés dans une minute ; il n’y a pas une verste jusqu’à la maison. Restez assis. »

Il grimpa sur le rebord qui lui servait de siège, prit les rênes des mains de Markelof et remit dans le droit chemin le cheval de brancard… Le tarantass, d’abord violemment secoué à deux ou trois reprises, roula ensuite plus sûr et plus rapide sur la route unie. Les ténèbres semblèrent s’écarter, se soulever. Un monticule apparut en avant ; une petite lumière brilla, disparut, puis une autre… Un chien aboya.

« Voici nos premières cabanes, dit le cocher. Allons, mes bons petits chats ! en avant ! hue ! »

Les lumières devenaient de plus en plus nombreuses.

« Après une telle insulte, dit enfin Néjdanof, vous comprendrez sans peine, monsieur Markelof, qu’il m’est impossible de passer la nuit sous votre toit ; il ne me reste donc qu’à vous prier, quelque pénible que cela soit pour moi, de me prêter votre tarantass quand vous serez arrivé chez vous, pour que je me rende à la ville ; demain je trouverai moyen de rentrer à la maison, et vous recevrez une communication à laquelle vous vous attendez probablement. »

Markelof resta un moment sans répondre.

« Néjdanof ! dit-il tout à coup d’une voix contenue, mais avec un accent presque désespéré ; Néjdanof ! au nom du ciel, entrez dans ma maison, ne fût-ce que pour me laisser vous demander pardon à genoux ! Néjdanof, oubliez… oublie, oublie cette parole d’insensé ! Ah ! si quelqu’un pouvait sentir jusqu’à quel point je suis malheureux ! »

Markelof se frappa d’un coup de poing la poitrine, qui sembla répondre par un gémissement.

« Néjdanof ! sois généreux ! Donne-moi ta main… Ne me refuse pas le pardon ! »

Néjdanof lui tendit la main, non sans indécision,