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— D’où je conclus cela ? Mais de toutes vos paroles, de toute votre manière d’être ! Aujourd’hui, chez Golouchkine, qui est-ce qui a dit qu’il ne voyait pas sur quels éléments on pourrait s’appuyer ? Vous ! Qui a demandé qu’on les lui montrât ? Encore vous ! Et quand votre ami, ce Pakline, ce farceur, ce bouffon, a prétendu, en levant les yeux au ciel, qu’aucun de nous n’était capable de faire un sacrifice, qui est-ce qui l’a soutenu ; qui est-ce qui a remué la tête d’un air approbateur ? N’est-ce pas vous ? Dites de vous-même ce que vous voudrez, pensez de vous ce qu’il vous plaira, c’est votre affaire ; quant à moi, je connais des gens qui ont eu le courage de repousser loin d’eux tout ce qui fait la vie belle, jusqu’au bonheur de l’amour lui-même, pour rester les serviteurs de leurs idées, pour ne pas trahir leurs convictions ! Mais vous, aujourd’hui, naturellement, vous avez bien autre chose en tête !

— Aujourd’hui ? Pourquoi justement aujourd’hui ?

— Eh ! mon Dieu ! ne cherchez pas tant à feindre, heureux Don Juan, amant couronné de myrtes ! s’écria Markelof, oubliant complètement le cocher, qui, bien qu’il ne tournât pas la tête, pouvait parfaitement tout entendre.

En ce moment-là, il est vrai, le cocher se préoccupait beaucoup plus du chemin que des querelles des gens qui étaient assis derrière son dos ; il essayait avec précaution, et presque avec timidité, de calmer le cheval de brancard, qui secouait obstinément la tête et se mettait sur la croupe ; le tarantass glissait sur un talus escarpé qu’on n’aurait pas dû trouver là.

« Pardon… je ne comprends pas bien… dit Néjdanof.

Markelof éclata d’un rire forcé et amer :

« Vous ne comprenez pas ! Ha ! ha ! ha ! Mais je sais tout, mon cher monsieur ! je sais à qui vous avez fait votre déclaration d’amour hier soir ; je sais qui vous avez charmé par votre heureuse prestance et vos beaux