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— Oui, certainement, ce Golouchkine ! nous aurions dû boire un peu moins. La tête me fait un mal horrible.

— Ce n’est pas de Golouchkine que je parle ! Lui, au moins, il a donné de l’argent ; de cette façon notre visite n’aura pas été tout à fait inutile.

— Ah ! alors, c’est de Pakline que vous vous plaignez, parce qu’il nous a conduits chez ses inséparables, comme il les appelle ?

— Il n’y a pas là de quoi se plaindre… ni de quoi se réjouir. Je ne suis pas de ceux qui s’intéressent à de pareilles amusettes… Ce n’est pas de ce malheur-là que je voulais parler.

— Mais duquel, donc ? »

Markelof ne répondit rien, et se renfonça dans son coin, comme pour se cacher. Néjdanof ne pouvait pas distinguer les traits de son visage ; seules les moustaches se détachaient en une ligne noire transversale ; mais, depuis le matin, il sentait chez Markelof quelque chose qu’il évitait d’approfondir, —comme une irritation sourde et secrète.

« Écoutez, Serge Mikhaïlovitch, —lui dit-il après un moment de silence, — sérieusement, vous plaisent-elles tant que cela, les lettres de ce monsieur Kisliakof, que vous m’avez données à lire ? À mon sens, —pardonnez-moi la crudité de l’expression, — elles ne sont qu’un pur galimatias ! »

Markelof se redressa tout à coup.

« D’abord, dit-il d’une voix courroucée, je ne partage en aucune façon votre avis sur ces lettres ; je les trouve extrêmement remarquables… et consciencieuses ! De plus, Kisliakof travaille ; il se donne de la peine, et surtout il a la foi ! Il croit à notre œuvre, il croit à la ré-vo-lu-tion ! Et, permettez-moi de vous le dire, Alexis Dmitritch, je remarque que vous, vous devenez tiède à l’égard de notre œuvre, —vous n’y croyez pas !

— D’où concluez-vous cela ? fit lentement Néjdanof.