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puis, comme un furieux, il se mit à crier : « Que diable est-ce qu’un progymnase ? »

Golouchkine se redressa tout à coup, et, rejetant en arrière sa figure cramoisie, où un sentiment de triomphe et de domination grossière se mêlait étrangement à une sorte d’effroi secret et même de trépidation, il cria de tous ses poumons :

« J’en sacrifie encore « mille » ! Vassia, aboule !

— C’est ça ! ne te gêne pas ! » répondit Vassia à demi-voix.

Pakline, tout pâle et couvert de sueur (pendant le quart d’heure précédent, il avait fait autant de libations que le commis), Pakline s’élança alors de sa place, et, levant ses deux mains au-dessus de sa tête, s’écria en pesant sur chaque syllabe :

« Sacrifie ! il a dit : sacrifie ! Ô profanation d’une parole sainte ! Sacrifice ! Quoi ! nul n’ose s’élever jusqu’à toi, nul ne peut remplir les obligations que tu imposes, nul de ceux qui sont ici, au moins, et cette espèce de lourdaud, cet imbécile, ce vil sac d’argent donne une secousse à son ignoble panse, il jette une poignée de roubles, il crie : Sacrifice ! Et il veut qu’on le remercie ! Et il attend qu’on le couronne de lauriers ! Canaille ! pleutre ! »

Probablement Golouchkine n’entendit pas ou ne comprit pas ; peut-être même prit-il les paroles de Pakline pour des plaisanteries, car il répéta encore une fois : « Oui ! « mille » roubles ! Parole de Kapitone Golouchkine, parole d’Évangile ! »

Il fourra tout d’un coup sa main dans sa poche :

« Tenez, le voilà, l’argent ! Gorgez-vous-en, avalez, et souvenez-vous de Kapitone ! »

Quand il était un peu lancé, il parlait de lui-même comme les petits enfants, à la troisième personne.

Markelof, sans dire un mot, ramassa les billets étalés sur la nappe inondée de champagne. Après quoi, comme il n’y avait plus de raison pour rester, et que d’ailleurs