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« Comment fait-il pour ne pas éclater ? chuchota Pakline à l’oreille de Néjdanof.

— L’habitude, » répondit celui-ci.

Mais le commis n’était pas seul à boire. Le vin délia la langue à tout le monde, et Néjdanof, Markelof, Solomine lui-même, prirent part, petit à petit, à la conversation.

Néjdanof, d’abord, avec une sorte de dégoût et de mépris contre lui-même, parce qu’il ne savait pas soutenir son caractère, et qu’il se laissait aller à battre l’eau avec un bâton, Néjdanof commença par dire qu’il était temps de laisser là les vaines paroles et qu’il fallait « agir ! »

Il parla du terrain que l’on avait trouvé, et un instant après, sans soupçonner qu’il fût en contradiction avec lui-même, il demanda qu’on lui montrât les éléments sérieux et réels sur lesquels on pourrait s’appuyer, disant que, pour sa part, il ne les voyait pas. « Dans la société, pas de sympathies ; chez le peuple, aucun sentiment de la situation… Tirez-vous de là ! »

Personne ne lui fit d’objections, non pas qu’il n’y eût rien à répondre, mais parce que chacun suivait son idée.

Markelof prit la parole ; sa voix sourde et morose résonna longuement, en phrases monotones et obstinées.

« On dirait qu’il hache des choux, » murmura Pakline.

Quant au véritable sujet de son discours, il eût été difficile de le démêler ; par moments, il prononçait le mot « artillerie » ; il faisait probablement allusion aux défauts qu’il avait découverts dans son organisation. Les Allemands et les aides de camp eurent aussi leur paquet.

Solomine prit la parole, lui aussi, et fit observer qu’il y a deux manières d’attendre : — attendre en se croisant les bras, et attendre en prenant les mesures nécessaires.