« Oui, oui, oui, oui ! répétait Golouchkine, c’est ça, c’est ça ! Tenez, notre maire, par exemple, un âne de premier ordre ! une véritable bûche ! Vous lui expliquez ceci, cela, il n’y comprend goutte ! Notre gouverneur n’est pas pire que ça !
— Votre gouverneur est bête ? demanda Pakline.
— Je vous ai dit que c’est un âne !
— Avez-vous remarqué s’il grasseye ou s’il parle du nez ?
— Pourquoi ? demanda Golouchkine avec quelque perplexité.
— Comment ! vous ne savez pas ? Chez nous, en Russie, les hauts dignitaires civils grasseyent, et les généraux parlent du nez ; les plus hauts personnages de l’empire, seuls, grasseyent et parlent du nez en même temps. »
Golouchkine rit tellement fort, que les larmes lui coulaient sur le visage.
« Oui… oui… balbutiait-il : il parle du nez… c’est un militaire !
— Butor ! » se dit Pakline intérieurement.
Quelques instants après, Golouchkine s’écria :
« Chez nous, en Russie, tout est pourri, tout ! »
Pakline était en train de dire tout bas à son voisin Néjdanof : « Qu’est-ce qu’il a donc à remuer les bras comme si sa redingote le gênait aux entournures ? » Mais il ajouta tout haut d’un air insinuant :
« Très-respectable Kapitone Andréïtch, croyez-moi, les demi-mesures, chez nous, ne serviraient à rien.
— Des demi-mesures ! hurla Golouchkine, qui cessa brusquement de rire et prit une expression farouche : — Il faut tout arracher, y compris la racine ! Vassia, bois ! fils de chien !
— Vous voyez, je bois, Kapitone Andréïtch ! » répondit le commis en s’enfonçant le verre à champagne jusqu’au gosier.
Goulouchkine aussi siffla un verre plein.