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Fimouchka jeta un coup d’œil vers son mari ; et, le voyant assis dans sa pose habituelle et tout à fait calmé, elle se calma aussi.

« Des cartes, des cartes… dit-elle ; mais je ne sais plus, mon petit père, j’ai oublié ! Il y a longtemps que je n’ai eu des cartes dans les mains !… »

Et déjà elle prenait des mains de Snandoulie un jeu de cartes très-ancien, un jeu d’hombre.

« À qui dois-je faire les cartes ?

— À tous ! s’écria Pakline, et il se dit à lui-même : « Voilà, par exemple, une charmante petite mère ! on la « tourne où on veut… C’est un vrai plaisir ! » —À tous, grand’maman, à tous ! répéta-t-il à haute voix. Dites-nous notre destinée, notre caractère, notre avenir… tout ! »

Fimouchka commença à étaler les cartes, mais tout à coup elle jeta le jeu sur la table.

« À quoi bon des cartes ? s’écria-t-elle. Je n’en ai pas besoin pour connaître le caractère de chacun de vous ! Et tel caractère, telle destinée. —Celui-là (elle montra Solomine) est un homme rafraîchissant et constant ; celui-ci (elle menaça Markelof du doigt) est un homme bouillant, un dangereux… (Poufka tira la langue à Markelof) ; toi (elle regarda Pakline), je n’ai pas besoin de te dire ce que tu es, tu le sais très-bien ; tu es un évaporé. Celui-ci… »

Elle montra du doigt Néjdanof, et eut un mouvement d’hésitation.

« Quoi donc ? demanda-t-il. Parlez, je vous en prie : quel homme suis-je ?

— Quel homme tu es ? dit lentement Fimouchka : tu es un homme digne de pitié, voilà. »

Néjdanof tressaillit.

« Digne de pitié ! Pourquoi donc ?

— Tout simplement… tu me fais pitié, voilà tout.

— Mais pourquoi ?

— Parce que mes yeux me disent ça. Tu crois que je suis une bête ? Je suis plus fine que toi, malgré tes cheveux