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Mais il s’interrompit et regarda autour de lui d’un air inquiet.

Il ne connaissait guère la langue française et n’avait lu Voltaire qu’en traduction (il avait sous son oreiller, dans un coffret favori, une traduction manuscrite de Candide), mais il lui échappait parfois des expressions telles que : fausse parquet (dans le sens de : « c’est suspect, douteux »), expression dont on s’était beaucoup moqué jusqu’au jour où un Français très-savant avait expliqué que c’était un vieux terme parlementaire employé dans son pays avant 1789.

Profitant de ce que la conversation roulait sur la France et les Français, Fimouchka se décida à éclaircir un doute qui lui était resté dans l’esprit. Elle pensa d’abord à interroger Markelof, mais il la regardait d’un air tellement grave ! Solomine l’effrayait moins. « Mais non ! se dit-elle, il a l’air d’un homme simple, il ne doit pas comprendre le français ! » Elle s’adressa à Néjdanof.

« Je voudrais vous demander… commença-t-elle, —excusez-moi, — mais voilà mon cousin, Sila Samsonytch, qui se moque toujours de moi, pauvre vieille, à cause de mon ignorance…

— Demandez, je vous en prie.

— Voilà ce que c’est. Si quelqu’un veut employer le « dialecte » français pour demander ce qu’est une certaine chose, doit-il dire : Quécé — quécé — qué — céla ?

— Oui.

— Et peut-il dire : Quécé — quécé — qué — céla ?

— Sans doute.

— Et simplement : Qué — céla ?

— Mais oui.

— Et tout ça, c’est la même chose ?

— Oui. »

Fimouchka réfléchit un instant, puis fit un geste de résignation :

« Eh bien, Sila, dit-elle enfin, j’avais tort et tu avais raison. Mais vraiment, ces Français sont bien drôles !… »