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tenait d’une main un cor gigantesque orné de glands rouges ; de l’autre, les rênes et un fouet ; les quatre pieds du cheval étaient en l’air tous à la fois, et l’artiste avait soigneusement peint les quatre fers, sans oublier même les clous.

« Et remarquez, » disait Fomouchka en montrant de ce même doigt potelé quatre taches demi-circulaires tracées dans le fond blanc, en arrière des pieds du cheval, remarquez les traces dans la neige ! il n’a rien oublié ! »

Pourquoi ces traces n’étaient-elles qu’au nombre de quatre ? Pourquoi n’y en avait-il pas d’autres plus loin, en arrière ? C’est un point que Fomouchka passait sous silence.

« Ce chasseur… c’est moi ! ajouta-t-il après un moment d’hésitation, avec un sourire pudique et satisfait.

— Comment ! s’écria Néjdanof, vous avez été chasseur ?

— Oui… mais pas longtemps. Une fois, en plein galop, je passai par-dessus la tête de mon cheval, et je me blessai le « kourpéï ». Là-dessus Fimouchka eut une terrible frayeur et me défendit de chasser. Et ce fut fini.

— Qu’est-ce que vous vous étiez blessé ? lui demanda Néjdanof.

— Le « kourpéï » répéta Fimouchka en baissant la voix.

Les visiteurs s’entre-regardèrent sans rien dire. Ils ignoraient absolument ce que signifiait ce mot. Markelof seul, il est vrai, savait qu’on appelle « kourpéï » le plumet d’un bonnet cosaque ou tchernesse ; mais comment Fomouchka aurait-il pu se blesser ce plumet-là ? Et personne n’eut le courage de lui demander un éclaircissement.

« Ah ! c’est comme ça que tu te vantes ! s’écria tout à coup Fimouchka. Eh bien, moi aussi, je vais me faire valoir ! »

Elle ouvrit un tout petit « bonheur du jour », —on nommait ainsi un antique bureau sur pieds tors, dont le couvercle bombé, quand on le levait, glissait dans une