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moins facilement dans un estomac aussi plein que l’église !

Cette anecdote les fit rire aux larmes. Leur rire, comme tout le reste, était pareil, glapissant, entrecoupé et se terminant par de la toux, de la rougeur sur le visage et une forte transpiration.

Pakline avait fait la remarque que les gens de l’espèce des Soubotchef sont vivement et en quelque sorte spasmodiquement impressionnés par des citations de Gogol ; mais comme son intention était moins d’amuser les deux vieillards que de les montrer à ses compagnons, il changea ses batteries, et s’arrangea si bien qu’au bout de peu d’instants le couple prit courage et se lança tout à fait.

Fomouchka sortit de sa poche et montra à ses hôtes sa tabatière favorite en bois sculpté, sur laquelle on pouvait compter jadis trente-six figures humaines dans diverses poses : toutes ces figures étaient depuis longtemps effacées par le frottement, mais Fomouchka les voyait encore ; il les voyait ; il pouvait les compter l’une après l’autre, et les montrer du doigt.

« Tenez, disait-il, en voilà un qui regarde par la fenêtre. Voyez-vous, il avance la tête. »

Et l’endroit qu’il indiquait du bout de l’ongle retroussé de son petit index était aussi uni que le reste du couvercle.

Puis il appela l’attention de ses visiteurs sur un tableau peint à l’huile, qui était accroché au-dessus de sa tête et qui représentait un chasseur vu de profil, sur un cheval isabelle, de profil aussi, qui traversait au triple galop une plaine de neige. Ce chasseur portait un grand bonnet blanc en peau de mouton avec flamme bleue, une tunique tcherkesse en poil de chameau bordée de velours et serrée à la taille par une ceinture à plaques de métal doré ; un gant brodé de soie était passé à cette ceinture ; un poignard à manche d’argent niellé pendait à côté. Le chasseur, qui avait l’air jeune et dodu,