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sommeil ne tardait pas à descendre sur leurs paupières. Tout bruit s’apaisait dans la vieille maisonnette ; la lampe brûlait devant les images, un vague parfum de musc et de mélisse flottait dans l’air, le grillon chantait, et le bon couple risible et innocent dormait en paix.

Voilà ce qu’étaient les fous, ou, comme disait Pakline, les « perruches inséparables » qui avaient donné asile à sa sœur et chez qui il conduisit ses amis.

La sœur de Pakline était une fille intelligente, assez jolie, — ses yeux surtout étaient magnifiques ; — mais sa malheureuse difformité lui ôtait toute liberté d’allure, toute gaieté, et la rendait méfiante, presque méchante. Par-dessus le marché, elle avait un prénom très-étrange : elle s’appelait Snandoulie ! Son frère avait essayé de la rebaptiser Sophie ; mais elle avait obstinément tenu à garder son bizarre prénom, disant que, quand on est bossu, on mérite de s’appeler Snandoulie.

Elle était bonne musicienne et jouait passablement du piano :

« C’est à cause de mes longs doigts, disait-elle, non sans amertume, des doigts de bossue !… »

Les quatre visiteurs arrivèrent chez Fomouchka et Fimouchka au moment où ceux-ci, réveillés de leur sieste, étaient en train de boire de l’eau d’airelles.

« Entrons dans le dix-huitième siècle ! » s’écria Pakline, en franchissant le seuil de la maisonnette.

Et en effet, le dix-huitième siècle leur apparut, dès l’antichambre, sous la forme d’un petit paravent à fond bleu, sur lequel étaient collées des silhouettes noires de dames et de cavaliers coiffés à la mode du siècle dernier.

Ces silhouettes, introduites par Lavater, étaient fort à la mode en Russie, vers 1780.

L’apparition inattendue d’un si grand nombre d’étrangers, — trois à la fois ! — produisit une vive émotion dans cette maisonnette si rarement visitée. On entendit un va-et-vient de pieds nus et chaussés ; quelques figures se