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Et les études, comment vont-elles ? Faites-vous des progrès dans votre art éminemment philanthropique ? Ça doit être une rude affaire que d’aider un citoyen inexpérimenté à faire sa première apparition dans le monde, eh !

— Oh ! pas du tout, à moins que le petit citoyen ne soit beaucoup plus grand que vous ! » répondit Machourina en souriant d’un air satisfait.

Machourina venait de recevoir le diplôme de sage-femme. Dix-huit mois auparavant, elle avait abandonné sa famille. C’étaient de petits propriétaires nobles du midi de la Russie, et elle était arrivée à Pétersbourg avec six roubles dans sa poche ; entrée à l’école d’obstétrique, elle avait conquis par un travail acharné le grade qu’elle convoitait. Elle était fille et très-chaste… Chose peu étonnante ! s’écriera quelque sceptique en se rappelant ce que nous avons dit de son extérieur. Chose étonnante et rare ! nous permettrons-nous de dire à notre tour.

En entendant la réponse de Machourina, Pakline se remit à rire.

« Bien touché, ma chère ! s’écria-t-il. Ah ! vous êtes vive à la riposte ! Ça m’apprendra ! Aussi, pourquoi suis-je resté si petit ? Mais le maître de céans ne revient pas ; où diable s’est-il fourré ? »

C’est avec intention que Pakline changeait le sujet de l’entretien. Il n’avait jamais su se résigner à sa taille microscopique, à sa chétive personne. Ces défauts physiques lui étaient d’autant plus sensibles qu’il adorait les femmes. Pour leur plaire, que n’aurait-il pas donné ! Le sentiment de sa difformité le rongeait bien plus cruellement que l’humilité de sa naissance ou que la médiocrité de sa position.

Le père de Pakline, simple bourgeois devenu conseiller honoraire à force de roueries, était une espèce d’homme d’affaires que l’on consultait pour les procès, à qui l’on confiait la gestion d’un domaine, d’une maison. À