Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

plus tard. Troisièmement, fais-moi faire connaissance avec tes nouveaux camarades. Dis-moi en deux mots ce qu’ils sont, et à eux, ce que je suis ; après quoi, il ne manquera rien à notre félicité ! »

Néjdanof obéit au désir de son ami, le nomma, nomma Markelof, Solomine, et puis il dit qui était chacun d’eux, où il demeurait, ce qu’il faisait, etc.

« Parfait ! s’écria Pakline. Et maintenant permettez-moi de vous conduire loin de la foule, qui, d’ailleurs, n’existe pas, jusqu’à un banc solitaire sur lequel, aux heures de rêverie, je viens m’installer pour jouir des beautés de la nature. La vue, de là, est ravissante : on aperçoit la maison du gouverneur, deux guérites rayées de blanc et de noir, trois gendarmes et pas un chien ! Ne soyez pas trop surpris, d’ailleurs, des discours par lesquels je m’efforce si inutilement de vous faire rire. Mes amis affirment que je représente l’esprit russe… Voilà sans doute pourquoi je boite ! »

Pakline conduisit ses amis jusqu’au « banc solitaire » et les y fit asseoir après en avoir préalablement chassé deux mendiantes. Les jeunes gens « échangèrent leurs idées », occupation assez ennuyeuse, comme on sait, surtout dans les premiers moments, et d’une parfaite inutilité.

« Attendez ! s’écria tout à coup Pakline, et s’adressant à Néjdanof : Il faut pourtant que je t’explique comment il se fait que je sois ici. Tu sais que, chaque été, j’emmène ma sœur n’importe où ; quand j’ai appris que tu allais habiter dans le voisinage de cette ville, je me suis souvenu qu’il y a ici même deux personnages extrêmement curieux, un mari et sa femme, qui nous sont un peu parents… par ma mère. Mon père était un bourgeois (Néjdanof connaissait ce détail, mais Pakline le mentionnait pour les deux autres) ; ma mère était noble. Et, depuis très-longtemps, ces parents-là nous invitaient. — Attention ! me suis-je dit, voilà mon affaire ! Ma sœur sera là comme un coq en pâte, tout est pour le mieux.