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En attendant, si nous allions au jardin de la ville ? Il fait un temps superbe. Nous regarderons le monde.

— Allons. »

Ils se mirent en route, Markelof et Solomine en avant, Néjdanof derrière.


XVIII


Néjdanof était dans une étrange situation d’esprit. Depuis deux jours, que de nouvelles impressions et de nouveaux visages !… Pour la première fois de sa vie il s’était lié à une jeune fille que, — selon toute vraisemblance, — il aimait d’amour ; il avait assisté aux premiers débuts d’une œuvre à laquelle, — aussi selon toute vraisemblance, — il avait consacré toutes ses forces… Et en somme, — était-il content ? — Non !

Était-il hésitant, avait-il peur ? Se sentait-il troublé ?

— Oh, certes non !

Éprouvait-il, au moins, cette tension de tout l’être, cet élan qui vous emporte dans les premiers rangs des combattants quand la lutte est imminente ? — as davantage.

Mais croyait-il à cette œuvre enfin ? croyait-il à son amour ? — Oh ! maudit faiseur d’esthétique ! sceptique ! murmuraient tout bas ses lèvres. — Pourquoi cette fatigue, pourquoi cette répugnance à parler, sauf les moments où il se mettait à crier, où il devenait furieux ?

— Quelle était cette voix intérieure qu’il essayait d’étouffer par ses cris ? Et Marianne, cet excellent et fidèle camarade, cette âme pure et forte, cette vaillante jeune fille, elle l’aimait pourtant ! Ne devait-il pas s’estimer heureux de l’avoir rencontrée, d’avoir mérité son amitié, son amour ? Et ces deux hommes qui marchaient en ce moment devant lui, ce Markelof, ce Solomine