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avait cinq sœurs, toutes mariées à des popes et à des diacres ; mais, du consentement de son père, homme sobre et rangé, il avait planté là le séminaire et s’était mis à étudier les mathématiques, la mécanique surtout, pour laquelle il s’était pris de passion. Un Anglais, directeur de fabrique, chez qui il était entré et qui l’avait pris en affection comme un fils, lui avait fourni les moyens d’aller à Manchester, d’y passer deux ans et d’y apprendre l’anglais. Entré depuis peu dans la filature de l’industriel de Moscou, il était exigeant avec ses subordonnés, parce qu’il avait vu les choses se passer ainsi en Angleterre, et, malgré cela, il était aimé d’eux.

« Il est des nôtres, » disaient-ils.

Son père était très-content de lui, disant qu’il était « un homme ponctuel », et ne regrettait qu’une chose, c’était qu’il ne voulût pas se marier.

Pendant cette conversation nocturne, Solomine, ainsi que nous l’avons dit, se tut presque constamment ; mais, lorsque Markelof vint à parler des espérances basées sur les ouvriers de fabrique, Solomine, brièvement, selon sa coutume, fit observer que ces ouvriers-là, en Russie, sont tout ce qu’il y a de plus bénin et ne ressemblent en rien aux ouvriers des autres pays.

« Et les mougiks ? demanda Markelof.

— Les mougiks ? Il y a déjà un assez bon nombre d’accapareurs parmi eux, et il y en aura chaque année davantage, mais ceux-là ne connaissent qu’une chose, leur intérêt ; quant aux autres, ce sont des moutons… et quelles ténèbres !

— Mais alors, où chercher ? »

Solomine sourit.

« Cherchez, et vous trouverez. »

Il souriait presque constamment, et son sourire était à la fois, comme toute sa personne, simple et réfléchi.

Vis-à-vis de Néjdanof, il avait une attitude particulière ; le jeune étudiant éveillait en lui un sentiment sympathique, presque tendre.