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Mais ils n’échangèrent même pas un baiser, cela eût été vulgaire… et en même temps terrible, — telle était au moins leur impression, à tous deux, — et ils se séparèrent aussitôt, après s’être mutuellement serré la main bien fort.

Marianne reprit le bougeoir qu’elle avait posé dans l’embrasure de la fenêtre de cette chambre vide, et seulement alors elle eut comme une sensation d’ébahissement. Elle souffla la bougie, se glissa le long du corridor au milieu d’une épaisse obscurité, gagna sa chambre, se déshabilla et se coucha, toujours dans cette même obscurité, qui lui était agréable et chère en ce moment.


XVI


Le lendemain matin, en s’éveillant, Néjdanof n’éprouva aucun trouble au souvenir de ce qui s’était passé la veille ; au contraire, il se sentait rempli d’une joie saine et paisible, comme s’il eût accompli une chose qui attendait depuis longtemps sa réalisation.

Après avoir demandé à Sipiaguine la permission de s’éloigner pour deux jours, permission que celui-ci lui accorda sans hésiter, mais d’un air sévère, Néjdanof se rendit chez Markelof.

Avant le départ, il avait eu le temps de voir Marianne. Elle non plus n’était ni confuse ni troublée ; elle avait le regard tranquille, elle le tutoya tout aussi tranquillement.

Elle s’inquiéta seulement de ce qu’il apprendrait chez Markelof, et le pria de lui faire part de tout.

« Cela va sans dire, répondit Néjdanof.

— En effet, songeait-il, pourquoi serions-nous troublés ? Dans notre rapprochement, le sentiment personnel a joué un rôle… secondaire, et nous sommes unis