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XV


Au premier moment propice, Néjdanof se retira et alla s’enfermer dans sa chambre. Il ne voulait voir personne, personne, excepté Marianne.

La chambre de la jeune fille se trouvait à l’extrémité d’un long corridor qui coupait tout l’étage supérieur. Néjdanof n’était jamais entré chez elle qu’une fois en passant, pour quelques minutes ; mais il lui sembla, ce soir-là, qu’elle ne se fâcherait pas s’il frappait à sa porte, et même qu’elle devait avoir envie de causer avec lui.

Il était assez tard, dix heures environ ; les maîtres de la maison, après la scène du dîner, ne s’étaient plus occupés de Néjdanof, et avaient continué leur partie avec Kalloméïtsef. Mme  Sipiaguine, à deux reprises, s’était informée de Marianne qui, elle aussi, avait disparu peu après le dîner.

« Où donc est Marianne Vikentievna ? » avait-elle demandé une première fois en russe, une seconde fois en français, sans s’adresser à personne en particulier, mais en regardant les murs, comme font les gens étonnés ; après quoi elle n’avait pas tardé à se mettre au jeu.

Néjdanof se promena quelque temps de long en large dans sa chambre, puis enfila le corridor jusqu’à la porte de Marianne, et frappa doucement. Pas de réponse. Il frappa une seconde fois, essaya d’ouvrir… La porte était fermée. Mais il avait à peine eu le temps de retourner chez lui et de s’asseoir, lorsque sa propre porte grinça faiblement, et il entendit la voix de Marianne :

« Alexis Dmitritch, est-ce vous qui avez frappé chez moi ? »

Il se leva d’un bond et s’élança dans le corridor.