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Moscou ; et Ladislas, notre bon et cher Ladislas, revenait à chaque instant sur ses lèvres.

Pendant tous ces discours, il tenait avec intention son regard fixé sur Néjdanof, comme pour lui dire : « Voilà pour toi ! Attrape ce camouflet ! Et celui-ci… Et encore celui-là ! »

Le jeune étudiant perdit enfin patience, et, d’une voix un peu enrouée il est vrai, un peu frémissante (non de timidité pourtant), il se mit à défendre les espérances, les principes, les tendances de la jeune génération.

Kalloméïtsef commença aussitôt à piauler, — l’indignation chez lui se traduisait toujours par des notes de fausset, — et devint grossier.

Sipiaguine prit majestueusement la défense du jeune homme ; Valentine suivit l’exemple de son mari ; Anne Zakharovna s’efforçait de détourner l’attention de Kolia, et jetait de côté et d’autre des regards furieux par-dessous les dentelles flottantes de son bonnet ; Marianne ne bougeait pas : on l’eût dite pétrifiée.

Mais tout à coup, en entendant le nom de Ladislas prononcé pour la vingtième fois, —Néjdanof éclata, et, frappant avec la paume de la main sur la table, il s’écria :

« Voilà une belle autorité ! Comme si nous ne savions pas ce que c’est que ce monsieur Ladislas ! Un vendu, un sicaire, rien de plus !

— Ah ! ah !… co… co… comment ! s’écria Kalloméïtsef bégayant de rage. —Voilà comment vous osez vous exprimer sur le compte d’un homme qui est hautement considéré par des personnages tels que le comte Blasenkrampf et le prince Kovrijkine ? »

Néjdanof haussa les épaules.

« Jolie recommandation ! le prince Kovrijkine, ce laquais enthousiaste…

— Ladislas est mon ami à moi ! cria Kalloméïtsef. Il est mon camarade, et je…