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s’entendre avec Solomine, et avec un certain marchand, vieux croyant, domicilié à S…

Cette lettre remplit Néjdanof de trouble ; il y lut un reproche direct adressé à son inaction. L’amertume, qui pendant tout ce temps n’avait bouillonné que dans ses paroles, le remplit de nouveau tout entier.

À l’heure du dîner, Kalloméïtsef arriva, tout bouleversé, tout exaspéré :

« Imaginez-vous, s’écria-t-il d’une voix presque larmoyante, quelle horreur je viens de lire dans un journal ? Mon ami, mon brave Michel, le prince de Serbie, des misérables l’ont assassiné à Belgrade ! Où s’arrêteront-ils, ces jacobins, ces révolutionnaires, si on ne les retient pas avec une main de fer ? »

Sipiaguine se permit de lui faire observer « que ce meurtre abominable avait dû être commis, non par des jacobins, dont l’existence à Belgrade n’était guère présumable, mais par des gens du parti de Kara-Gheorghi, ennemis des Obrénovitch… »

Mais Kalloméïtsef ne voulut rien entendre ; il continua de raconter, avec la même voix pleureuse, quel ami le feu prince avait été pour lui et quel magnifique fusil il lui avait donné… Se montant peu à peu et s’excitant lui-même, Kalloméïtsef, des jacobins étrangers, passa aux nihilistes et aux socialistes du dedans, contre lesquels il fulmina toute une philippique. Il prit un pain blanc dans ses deux mains, et, le rompant au-dessus de sa soupe, comme le font les habitués du « café Riche », il exprima le désir de briser, de rompre, de réduire en poudre tous ceux qui font de l’opposition « à quoi que ce soit et à qui que ce soit ! » Ce furent ses propres expressions.

« Il n’est que temps ! s’écriait-il en portant sa cuiller à sa bouche. Il n’est que temps ! » répétait-il en présentant son verre au valet de pied qui lui versait du xérès.

Il parlait avec vénération des éminents publicistes de