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Il se décida (grande marque de confiance et d’intimité) à parler de son insuccès à Marianne, et cette fois encore, à sa non moins grande surprise, il trouva en elle de la sympathie, non pour sa littérature, cela va sans dire, mais pour cette maladie morale dont il était atteint, et qui ne lui était pas étrangère, à elle aussi. Marianne était comme lui une ennemie déclarée de « l’esthétique », et pourtant, par une contradiction dont elle n’osait pas se rendre compte, c’était précisément l’absence complète de goûts « esthétiques » chez Markelof qui l’avait empêchée d’aimer celui-ci ! Mais il n’y a de fort en nous que ce qui reste en nous-mêmes et pour nous-mêmes un secret à demi entrevu.

Les jours se succédaient ainsi, lentement, inégalement, mais sans ennui.

Néjdanof se trouvait dans un état d’esprit assez singulier. Il était mécontent de lui-même, de ce qu’il faisait, ou plutôt de ce qu’il ne faisait pas ; ses paroles respiraient presque toujours cette amertume particulière de la flagellation qu’on s’applique à soi-même : et pourtant, tout au fond, là-bas, dans les plus secrets replis de son âme, il sentait un certain bien-être, quelque chose qui ressemblait à de l’apaisement. D’où cela pouvait-il provenir ? du calme de la campagne ? de l’air, de l’été, de la bonne chère, de la vie facile ? Était-ce peut-être parce qu’il goûtait pour la première fois de sa vie la douceur que donne le contact d’une âme féminine ? Quoi qu’il en soit, malgré les plaintes — parfaitement sincères — qu’il confiait à son ami Siline, il ne demandait pas à changer.

Du reste, l’état d’esprit de Néjdanof n’allait pas tarder à être inopinément et violemment bouleversé en un seul jour.

Un beau matin, il reçut une lettre du mystérieux Vassili Nikolaïevitch, dans laquelle il lui était enjoint, ainsi qu’à Markelof, — en attendant de nouvelles instructions, — de faire immédiatement connaissance et de