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— Je vous ai dit la vérité, grommela Ostrodoumof ; n’en doutez pas.

— Eh ! je sais bien ! »

Ils se turent de nouveau, et de nouveau les minces filets de fumée que laissaient échapper leurs lèvres silencieuses montèrent en se tordant légèrement au-dessus de leurs têtes chevelues.

Un bruit de pas retentit dans l’antichambre.

« Le voilà ! » murmura Machourina.

La porte s’entre-bâilla, et une tête se glissa par l’ouverture ; mais ce n’était pas celle de Néjdanof.

C’était une figure ronde, aux cheveux noirs et rudes, au front large et sillonné de rides ; ses petits yeux bruns se mouvaient rapidement sous d’épais sourcils ; elle avait un nez en bec de canard, retroussé vers le ciel, et une petite bouche rose drôlement fendue.

Cette tête regarda autour d’elle, salua, sourit — en montrant deux rangées de toutes petites dents blanches, — et pénétra dans la chambre en même temps qu’un torse débile aux bras courts, aux jambes mi-bancales, mi-boiteuses.

Machourina et Ostrodoumof, en l’apercevant, eurent tous deux sur le visage la même expression d’indulgent dédain, à peu près comme s’ils se fussent dit intérieurement : « Ah ! ce n’est que lui. » Ils ne laissèrent échapper ni un mouvement, ni une parole.

Du reste, le nouveau venu, loin d’être choqué de cet accueil, eut l’air d’en éprouver quelque satisfaction.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? s’écria-t-il d’une voix glapissante. — Un duo ? Pourquoi pas un trio ? Où est donc le premier ténor ?

— C’est de Néjdanof que vous voulez parler, monsieur Pakline ? lui dit Ostrodoumof d’un air très-sérieux.

— C’est justement de lui ; oui, monsieur Ostrodoumof.

— Il rentrera probablement bientôt, monsieur Pakline.