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fois, quelle… particularité il y a dans la vie de sa nièce, dont le père a été envoyé en Sibérie pour faits de concussion !… Elle se figure être une aristocrate, elle n’est qu’une cancanière et une poseuse, votre madone de Raphaël.

— Pardon ! pourquoi « ma » madone ? »

Marianne se détourna, et recommença à marcher dans le petit chemin.

« Vous avez eu ensemble une si longue conversation ! dit-elle enfin d’une voix sourde.

— Je n’ai presque pas dit un seul mot, répondit Néjdanof : c’est elle qui a parlé tout le temps. »

Marianne continua de marcher ; elle se taisait. Mais, à un endroit où le sentier déviait, les arbres de la sapinière semblèrent s’écarter devant eux ; une petite clairière apparut, au centre de laquelle s’élevait un bouleau pleureur dont le tronc vieux et crevassé était entouré d’un petit banc circulaire.

Marianne s’assit sur ce banc ; Néjdanof prit place à côté d’elle. De longues touffes de rameaux pendants, couverts de jeunes feuilles vertes, avaient un mouvement de va-et-vient, court et lent, au-dessus de leurs têtes. Autour d’eux, dans l’herbe menue, croissaient de blancs muguets, et toute la clairière exhalait un parfum de jeune gazon qui donnait une sensation de bien-être à leurs poitrines un peu oppressées encore par la senteur résineuse des sapins.

« Vous avez envie de voir notre école ? dit Marianne, soit ; allons. Seulement, je crois que vous n’aurez guère de plaisir. Vous savez qui est le chef de cette école ? le diacre. Un brave homme, du reste ; mais vous ne pouvez pas imaginer l’étrangeté de ses leçons ! Parmi les élèves, il y en a un nommé Garass ; il est orphelin, il a neuf ans ; eh bien, c’est lui qui est le meilleur élève de l’école. »

En changeant inopinément le sujet de leur entretien, on eût dit que Marianne s’était transformée elle-même :