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Il s’arrêta.

Marianne lui jeta un coup d’œil.

« Pourquoi, voulez-vous dire, n’ai-je pas accepté la proposition de M. Markelof, n’est-ce pas ? Oui ; mais qu’y faire ? c’est un brave homme… Mais, ce n’est pas ma faute, je ne l’aime pas… »

Marianne hâta de nouveau le pas comme pour épargner à son interlocuteur la nécessité de faire une réponse quelconque à cet aveu inattendu.

Ils étaient arrivés tous deux au bout de l’allée.

Marianne prit rapidement un sentier étroit qui traversait une sapinière épaisse, et continua à marcher ; Néjdanof la suivit. Il éprouvait une double perplexité : il lui semblait bien extraordinaire que cette fille ombrageuse lui parlât si franchement, — et ce qui l’étonnait plus encore, c’est que cette franchise ne le surprenait pas et qu’il la trouvait toute naturelle.

Soudain, Marianne se retourna et s’arrêta au milieu du sentier, si bien que son visage se trouva tout à coup tout près de celui de Néjdanof ; elle fixa ses yeux sur les yeux du jeune homme.

« Alexis Dmitritch, dit-elle, ne pensez pas que ma tante soit méchante. Non ! mais elle n’est que mensonge ; c’est une comédienne, une poseuse ; elle veut être adorée de tous, parce qu’elle est belle, et il faut en même temps qu’on la vénère comme une sainte ! Elle invente quelque bonne phrase, bien sincère, bien partie du cœur, la dit à quelqu’un, puis la répète à un second, à un troisième, et toujours avec l’air de l’avoir trouvée à l’instant même ; et alors, elle fait jouer à propos ses yeux magnifiques ! Elle se connaît bien elle-même, elle sait qu’elle ressemble à la Madone de Dresde, et elle n’aime absolument personne. Elle se donne les airs d’être toujours occupée de Kolia, et tout ce qu’elle fait, c’est de parler de lui avec des gens d’esprit. Elle ne veut de mal à personne, elle est toute bienveillance ! Mais qu’on vous broie tous les os en sa présence, cela lui sera