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et d’une Petite-Russienne très-fine et très-rusée, qui avait cet air simple et presque niais qu’ont beaucoup de ses compatriotes, et qui savait tirer de son extérieur un excellent parti.

Les parents de Mme  Sipiaguine n’étaient pas riches ; elle fut néanmoins élevée au couvent de Smolna, où son application et sa conduite exemplaire lui valurent les bonnes grâces de ses supérieures, quoiqu’elle fût regardée comme une républicaine.

À sa sortie du couvent (son frère était rentré dans leur petit domaine, et le général décoré et « bouclé » était mort), elle s’installa avec sa mère dans un appartement proprement arrangé, mais tellement froid, que l’haleine des gens qui parlaient se condensait en une légère vapeur.

Valentine disait en riant :

« C’est comme à l’église ! »

Elle supporta courageusement tous les ennuis de cette existence étroite et mesquine, grâce à son caractère d’une égalité merveilleuse.

Avec l’aide de sa mère, elle parvint à nouer et à entretenir des relations : tout le monde, même dans les hautes sphères, parlait d’elle comme d’une charmante jeune fille, très-instruite et très « comme il faut ».

Les partis ne manquaient pas ; elle choisit Sipiaguine parmi tous les autres, et le rendit amoureux d’elle en un tour de main… Du reste, Sipiaguine lui-même comprit bien vite que c’était la femme qu’il lui fallait. Elle était intelligente, pas méchante… bonne plutôt, foncièrement froide et indifférente, et pourtant elle n’admettait pas que l’on pût rester indifférent à côté d’elle.

Valentine possédait ce genre particulier de grâce câline et tranquille qui est le propre des égoïstes « aimables » ; cette grâce où il n’y a ni poésie, ni sentiment véritable, mais qui respire la bienveillance, la sympathie et même une sorte de tendresse. Seulement ces charmants égoïstes n’aiment pas à être contredits ; ils sont despotiques et ne