Après le dîner, qui avait réuni beaucoup de monde, Néjdanof profita de l’inattention générale pour s’esquiver et rentra dans sa chambre.
Il avait besoin de se trouver seul avec lui-même, ne fût-ce que pour mettre un peu d’ordre dans les impressions qu’il rapportait de son voyage de la veille.
Pendant le repas, Mme Sipiaguine l’avait regardé attentivement à plusieurs reprises, mais sans avoir l’occasion sans doute de causer avec lui ; quant à Marianne, depuis la démarche inattendue qui l’avait tant étonné, elle avait l’air d’éprouver une sorte de gêne et de le fuir.
Néjdanof prit une plume ; il avait envie de causer avec son ami Siline ; mais il ne trouva rien à dire, même à son ami ; peut-être ne parvenait-il pas à débrouiller les idées et les sentiments opposés qui se heurtaient dans sa tête ; il renvoya tout cela au lendemain.
Kalloméïtsef était au nombre des convives ; jamais il n’avait si bien montré que ce jour-là sa dédaigneuse arrogance de gentleman ; mais l’outrecuidance de ses discours agissait peu sur Néjdanof, qui les remarquait à peine.
Le jeune homme était comme environné d’un nuage ; on eût dit un rideau à demi opaque baissé entre lui et le reste du monde ; et, chose étrange, à travers ce rideau, s’entrevoyaient seulement trois figures, — trois figures de femmes, — qui, toutes les trois, dirigeaient obstinément leurs regards sur lui.
C’étaient Mme Sipiaguine, Machourina et Marianne. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Et pourquoi ces trois figures-là ? Qu’avaient-elles de commun ? Et que lui voulaient-elles ?