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C’était une pièce malpropre, au plafond bas, aux murs badigeonnés d’une couleur vert sale, qu’éclairaient à peine deux petites fenêtres poussiéreuses. Elle avait pour tout mobilier un lit de fer dans un coin, une table au milieu, quelques chaises, et une étagère surchargée de livres.

Près de la table était assise, fumant une cigarette, une femme de trente ans environ, nu-tête, vêtue d’une robe de laine noire.

En voyant entrer Ostrodoumof, elle lui tendit silencieusement sa large main rouge. Celui-ci répondit non moins silencieusement à son étreinte, se laissa tomber sur une chaise, et tira de sa poche une moitié de cigare.

Machourina lui donna du feu, il alluma son cigare, et tous deux, sans échanger une parole, ni même un regard, se mirent à lancer des tourbillons de fumée bleuâtre dans l’air épais de la chambre, déjà saturé de tabac.

Les deux fumeurs ne se ressemblaient point par les traits du visage ; mais entre ces deux figures ingrates, aux lèvres épaisses, aux grosses dents, au nez mal taillé (Ostrodoumof, en outre, était grêlé), il y avait quelque chose de commun, une expression de loyauté et d’énergie laborieuse.

« Est-ce que vous avez vu Néjdanof ? demanda enfin Ostrodoumof.

— Oui ; il va venir. Il est allé porter des livres à la bibliothèque.

— Qu’est-ce qu’il a à courir comme ça depuis quelque temps ? dit Ostrodoumof en se détournant pour cracher. Il n’y a plus moyen de mettre la main sur lui. »

Machourina prit un second papiros, et l’allumant consciencieusement :

« Il s’ennuie, répondit-elle.

— Il s’ennuie ! répéta Ostrodoumof d’un ton de reproche. Quel enfantillage ! On dirait que nous n’avons