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ciens connaissent leur affaire sans lui. » C’est son droit de seigneur, il n’y a pas à dire. On se mettait à danser, on s’en donnait jusqu’au jour ; c’était surtout, attendez… l’acossaize matradoura… Hé, hé, hé ! te voilà pris, toi, frère ! (Et il retirait de l’eau une petite perche.) Tiens, prends, Stépan.

― C’était un bârine, un vrai bârine, reprit le vieillard en jetant de nouveau sa ligne, et de plus, une bonne âme. Il me battait parfois ; il tournait la tête, il avait oublié. Une seule chose, c’est qu’il entretenait des matresques[1], et voilà, ce sont ces matresques qui l’ont ruiné ; il les prenait toutes dans la basse classe. Eh bien ! qu’est-ce qu’il leur fallait donc tant ? Ce qu’il leur fallait, eh bien, oui, tout ce qui coûtait le plus cher dans toute l’Europe. Dame, on peut suivre son plaisir, et c’est bien ; cela va aux seigneurs, seulement, il ne faut pas s’y ruiner. Tenez, il y en avait une, elle s’appelait Akoulina ; à présent elle est morte, Dieu lui fasse grâce ! C’était une fille à la douzaine, une fille d’un déciatski[2] de Sitor ; mais une méchante créature, allez. Elle donnait des soufflets à Son Excellence, figurez-vous ! Elle l’avait tout à fait

  1. Maîtresses.
  2. Garde-ville fourni par chaque dizaine de maisons.