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données à lui comme les abeilles, et ni les unes ni les autres ne le quittent. »

― Tu as fait apprendre à lire à tes enfants ? lui demandai-je.

Il resta un moment sans parler, puis il me répondit :

― Fedia sait lire.

― Et les autres ?

― Les autres, non.

― Et pourquoi ?

Khor détourna l’entretien. D’ailleurs, malgré toute son intelligence, Khor avait la tête farcie de préjugés. Il avait pour les babas un souverain mépris et ne cessait guère de se moquer d’elles. Sa femme, une vieille acariâtre qui vivait sur le poêle, grondait continuellement. Les fils ne s’occupaient point d’elle, mais ses brus tremblaient. Ce n’est pas pour rien que dans la chanson russe la belle-mère chante : « Quel es-tu ? quel chef de famille es-tu, toi qui as une jeune femme et ne la bats jamais ?… » Un jour, j’essayais d’intercéder pour les brus, d’apitoyer le vieillard, il me répondit tranquillement :

― Eh ! pourquoi t’occuper de ces bagatelles ? Que les babas se querellent entre elles ! les séparer c’est pire encore, et ça ne vaut pas la peine de se salir les mains.