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Les marchands mûrs affectionnent cette sorte de chevaux, dont le trot rappelle l’allure d’un agile garçon de restaurant. Ils sont bons à être attelés seuls, pour une promenade d’après-dîner. Élégants, penchant la tête de côté, ils tirent courageusement une lourde drojka chargée d’un cocher qui a mangé à ne plus pouvoir parler et d’un marchand en compagnie de sa femme, un monceau de chair enveloppé de soie bleu de ciel couronné d’un mouchoir lilas.

Je renonçai à Sokol. Sitnikov me fit voir encore quelques chevaux. À la fin, un gris-pommelé des haras de Voëikov me plut. Je ne pus me refuser le plaisir de lui caresser la tête. Aussitôt Sitnikov affecta la plus grande indifférence.

— Marche-t-il bien ? demandai-je.

— Oui, il marche, répondit tranquillement le maquignon.

— Ne pourrait-on pas voir ?

— Pourquoi pas ! Hé, Kousia, attelle vite Dogoniaï à la drojka.

Kousia, très habile en ces sortes d’épreuves, passa trois fois devant nous dans la rue. Le cheval courait bien, ne butait ni ne ruait, avait le jeu du jarret libre et correct, et la queue bien portée.

— Qu’en voulez-vous ? demandai-je.

Sitnikov me fit un prix extravagant.