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très vite parmi les riches écervelés de Pétersbourg ; il boit, fume, joue avec eux et les tutoie. Pourquoi est-il aimé d’eux ? C’est assez difficile à expliquer. Il n’a point d’esprit, il n’est pas même drôle ; ce serait le dernier des bouffons. Il aimerait qu’on le traite comme un bon enfant vulgaire et sans importance. On va avec lui deux ou trois semaines durant ; puis, tout à coup, on ne le salue plus. Une singularité de Khlopakov consiste à employer un ou deux ans de suite une expression unique qu’il place partout, et une expression excessivement sotte, qui, Dieu sait pourquoi ! fait rire tous ceux qui l’entendent. Il y a huit ans, il ne cessait de dire : « Je vous salue humblement ; je vous remercie humblement. » Et ses protecteurs se pâmaient. Plus tard, il employa cette phrase plus compliquée : « Non, vous déjà, qu’est-ce que c’est ? Ça se trouve comme ça, » avec le même éclatant succès. Plus tard encore, ce fut : « Ne vous échauffez pas, homme du bon Dieu, cousu dans une peau de mouton, » etc. Eh bien ! ces méchants bons mots si peu amusants le nourrissent et l’habillent depuis longtemps (car il a mangé son patrimoine et vit au compte de ses amis). Notez qu’il n’a aucune qualité, sauf pourtant qu’il peut fumer cent pipes en un jour, jouer au billard en