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lement les babas s’en mêlent et réduisent parfois l’industriel à les battre pour leur apprendre à vivre.

Il y a une autre circonstance où les babas ont plus à souffrir. Les pourvoyeurs de papeterie confient l’achat du chiffon à des gens qu’on appelle dans quelques districts « aigles ». Ces aigles reçoivent de leur patron deux cents roubles et partent en chasse. Mais, bien loin d’imiter le noble oiseau dont le chiffonnier usurpe le nom, il ne fond pas directement sur sa proie, il emploie la ruse. Laissant sa telega quelque part dans les broussailles, aux environs du village, il arrive par les mares furtivement comme un passant, comme un oisif. Les babas flairent l’aigle et viennent à sa rencontre. Le marché est vite fait : pour des kopeks, la baba donne à l’aigle, non seulement toutes les guenilles de son ménage, mais la chemise même de son mari et sa propre jupe. Il arrive même, cela est un récent progrès dans l’industrie des aigles, que les babas se volent elles-mêmes et se défont ainsi des paquets de chanvre et de filasse. Les maris, en revanche, sont devenus plus fins : au premier bruit, au premier soupçon de la venue d’un aigle, ils prennent aussi des mesures correctionnelles préventives. Et, en effet, n’est-