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sortir le troisième. Après un douloureux dîner je me rendis au café — si j’ose parler ainsi, — où chaque soir s’assemblent les commissaires aux remontes, les propriétaires de haras et les voyageurs. Dans la salle de billard, tout inondée des ondes plombées de la fumée de tabac, se trouvaient une vingtaine de personnes — jeunes pomiéstchiks en vestons à brandebourgs et à pantalons gris, aux tempes allongées, aux petites moustaches huilées, regardant autour d’eux d’un air fier et noble ; d’autres, en casaquins, aux cous courts et aux yeux noyés de graisse, soufflaient avec difficulté. Des officiers causaient librement entre eux. Le prince N…, jeune homme de vingt ans, en surtout déboutonné, en chemise de soie rouge et en large culotte de velours noir, jouait au billard avec Victor Khlopakov, ex-sous-lieutenant. À l'écart, de jeunes marchands étaient assis, serrés comme des harengs.

Victor Khlopakov, homme petit, aux cheveux noirs, aux yeux châtains, au nez épaté et relevé, sautille en marchant, porte le bonnet sur l’oreille, retourne les manches de son surtout militaire qui est doublé de calicot gris, et agite sans cesse ses bras dans des gestes ronds. M. Khlopakov a le talent particulier de s’insinuer