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lera. Pensez là-dessus comme il vous plaira. Oh ! le sang est une grande chose !

Cependant l’air était immobile. De temps en temps, passait une faible brise. Un de ces légers courants nous apporta le bruit de coups mesurés et nombreux partant de l’écurie. Mardari Apollonitch portait à ses lèvres sa soucoupe pleine de thé, et il élargissait déjà ses narines, — opération préalable sans laquelle un vrai Russe ne saurait boire avec plaisir, — quand il s’arrêta, hocha la tête, ingurgita une cuillerée, et, reposant la soucoupe sur la table, fit avec un sourire très bonhomme et comme s’il accompagnait les coups : « Tchouk ! tchouk ! tchouk ! tchouk ! »

— Qu’est-ce donc ? lui demandai-je avec étonnement.

— On fouette, d’après mes ordres, Vassia, mon buffetier : vous savez, cet espiègle ?

— Quel Vassia ?

— Mais voilà, celui qui vous a servi à dîner, ce grand qui a des favoris énormes.

Aucune indignation n’aurait pu résister au regard limpide et doux de Mardari Apollonitch.

— Quoi donc, jeune homme ? me dit-il en branlant la tête. Vous me regardez !… Suis-je donc un brigand ? Qui aime bien châtie bien, vous savez.