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changé ; les joues pendent, des rides nombreuses rayonnent autour des yeux, quelques dents manquent, les cheveux ont pris une teinte lilas qu’ils doivent à certain liquide acheté à la foire aux chevaux de Nomène, d’un juif qui se donnait pour Arménien. Mais Viatcheslav Ilarionovitch a la démarche allègre et le rire retentissant. Il fait tinter ses éperons, retrousse sa moustache et se traite lui-même de « vieux cavalier », tandis que les vieillards ne conviennent jamais qu’ils sont vieux. Il porte habituellement une redingote boutonnée jusqu’au menton, une longue cravate d’où sort un col empesé et un pantalon gris à petits pois d’une coupe militaire. Il baisse son chapeau sur le front et laisse sa nuque à découvert. C’est un très bon homme, mais il a d’étranges habitudes. Par exemple, il lui est impossible de traiter les nobles sans fortune comme s’ils valaient autant que lui. En leur parlant il les regarde de côté en appuyant fortement sa joue contre son col blanc et raide, ou bien il les éblouit d’un regard clair et fixe, reste silencieux, puis fait jouer son cuir chevelu, il dénature même les noms et ne dit pas par exemple : « Merci, Pavel Vassilitch », ou bien : « Passez par ici, Mikhaïlo Ivanitch », mais : « Mci Pal Assilitch », ou : « Psez ici, Mikhal Vanitch ».