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de ma jument, je descendis dans un ravin, j’en traversai le lit desséché et tapissé de broussailles, j’escaladai un haut talus et j’entrai dans le bois. La route serpentait entre d’épais massifs de coudriers déjà pleins d’ombre. J’avançais difficilement. Ma drojka se heurtait aux racines des chênes et des tilleuls, et cahotait dans les ornières profondes, creusées par les télégas. Mon cheval commençait à butter. Tout à coup, le vent descendit des cimes, les arbres gémirent, de grosses gouttes cinglèrent les feuilles, le tonnerre gronda. L’orage se déchaînait. La pluie tomba à verse. Je n’allais plus qu’au pas, et bientôt je dus m’arrêter. Mon cheval s’était embourbé, et je ne voyais plus devant moi. Je gagnai comme je pus un abri de feuillage, et là, me courbant en deux et me cachant le visage, je résolus d’attendre la fin de l’orage… Mais tout à coup, à la lueur d’un éclair, j’aperçus, au milieu du chemin, une haute figure d’homme, dont je me mis à suivre les mouvements. Cette figure semblait croître en avançant près de ma drojka.

— Qui est là ? cria une voix retentissante.

— Toi-même, qui es-tu ?

— Je suis le garde-forêt d’ici.

Je me nommai.

— Ah ! je sais, vous retournez chez vous ?