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Antonitch, impossible, Dieu m’est témoin.

Un silence.

Je regardai par une fente de la cloison : le caissier était assis et me tournait le dos ; j’avais en face de moi un marchand d’une quarantaine d’années, maigre et pâle, le visage comme frotté d’huile. Il farfouillait sans cesse dans sa barbe, clignotait précipitamment et tordait ses lèvres.

— Les blés sont étonnants cette année, reprit-il, depuis Voronèje jusqu’ici, je n’ai fait qu’admirer ; première qualité, je vous dis.

— Oui, oui, les herbes sont belles, mais vous savez, Gavrila Antonitch, c’est l’automne qui donne les cartes, et c’est le printemps qui joue le jeu.

— C’est vrai, Nikolaï Eréméitch, tout est entre les mains de Dieu. Vous avez dit là une grande vérité… mais je crois que votre hôte s’est réveillé.

Le caissier se retourna et écouta.

— Il dort, au reste on peut…

Il s’approcha de la porte.

— Non, il dort, répéta-t-il, et il revint à sa place.

— Eh bien, voyons donc, dit Nikolaï Eréméitch, reprit le marchand ; il faut en finir… soit. Nikolaï Eréméitch, soit, ajouta-t-il en clignant des yeux. Deux billets gris et un blanc.