Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment sa barbe, entama la conversation avec moi. Il paraissait pénétré de sa propre dignité, parlait et se mouvait avec lenteur ; un rare mouvement de sa lèvre et de sa longue moustache trahissait un sourire. Nous causâmes des semailles, des bonnes années, de la condition du moujik… Il fut de mon avis sur tous les points. À la longue, cela me parut fastidieux. Je sentais que je me déconsidérais aux yeux du moujik par ce parlage sans but. Parfois, Khor parlait d’une manière obscure, probablement par prudence… Voici un échantillon de notre conversation.

― Eh bien, Khor, lui dis-je, pourquoi rester serf ? Pourquoi ne pas te racheter ?

― Pourquoi me racheter ? Je connais maintenant mon bârine, je sais combien j’ai à lui payer et c’est un bon bârine.

― La liberté vaut toujours mieux que tout, repris-je.

Il me regarda un peu de travers.

― Sans doute, fit-il.

― Pourquoi donc ne pas te racheter ?

Khor secoua la tête.

― Et avec quel argent me rachèterais-je, mon petit père ?

― Allons donc, vieux !…