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avez, par votre venue, illuminé notre petit village ! Vous nous avez rendus heureux jusqu’à la tombe. Eh ! grâce à Dieu, Arkadi Pavlitch, grâce à Dieu, tout va bien par votre bienveillance.

Sofron se tut, regarda le bârine et, comme entraîné par un élan d’amour (où l’ivresse était pour quelque chose), il baisa encore une fois la main du maître, puis reprit avec un nouvel entrain :

— Ah ! vous, nos pères et bienfaiteurs, eh ! quoi !… la joie me rend fou… pardieu, je regarde et je n’en crois pas mes yeux… Ah ! vous, nos pères et…

Arkadi Pavlitch me regarda, sourit et me dit en français : « N’est-ce pas que c’est touchant ? »

— Oui, batiouchka Arkadi Pavlitch, reprit le bourmistre, mais comment cela, donc, vous me chagrinez, batiouchka. Comment, vous ne me faites pas savoir que vous venez !… Ici, ce n’est guère propre…

— Ça ne fait rien, Sofron, répondit en souriant Arkadi Pavlitch, ça va bien.

— Ah ! nos pères ! ça va bien pour nous autres moujiks, mais pour vous, nos pères et bienfaiteurs… pardonnez-moi, je ne suis qu’un imbécile, j’ai l’esprit à l’envers, Dieu du ciel, à l’envers !…

On servit à souper. Arkadi Pavlitch se mit à