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leur bonheur. « Il faut les traiter comme des enfants, dit-il alors, et il faut prendre en considération leur ignorance. » Quant à lui, quand sonne l’heure des rigueurs nécessaires, il évite tout mouvement vif, tout éclat de voix ; il étend la main droite et dit au coupable. « Je t’avais prié mon cher… » Ou bien : « Qu’as-tu donc, mon ami, reviens à toi… » Ses dents se serrent un peu, sa bouche se tord, et c’est tout. Il est de petite taille, bien fait, joli de figure ; il prend le plus grand soin de ses mains et de ses ongles, ses joues et ses lèvres roses ont la fleur de la santé. Il rit aux éclats, sans souci, et cligne souvent de ses yeux gris clair. Il s’habille avec goût, fait venir des livres, des gravures et des journaux français, sans être pour cela grand liseur, car s’il a lu jusqu’au bout le Juif errant, c’est tout. Il joue bien aux cartes.

En un mot, Arkadi Pavlitch passe pour un gentilhomme accompli et pour un des partis les plus désirables de tout notre gouvernement. Les dames raffolent de lui et vantent par-dessus tout ses manières. Il se tient très bien, prudent comme un chat, il ne s’est jamais compromis dans aucune histoire et pourtant il aime à se faire valoir, à mater un rival. Mais il dédaigne toute mauvaise société quoiqu’il se déclare, à ses