Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout à coup, il tressaillit, se tut, puis regarda attentivement dans l’épais du bois. Je me retournai et vis une petite paysanne, de huit ans environ, vêtue d’un sarafan bleu, avec un mouchoir à carreaux sur la tête et un panier tressé pendu à son bras nu bruni par le soleil. Il est probable qu’elle ne s’attendait pas à le voir. Elle se heurtait, comme on dit, contre nous et restait immobile sur le fond vert d’un massif de coudriers, à l’ombre dans une clairière. Elle me regardait timidement de ses yeux noirs, puis elle disparut derrière un arbre.

— Anna, Annouchka, viens ici, ne crains rien ! lui cria le vieux tendrement.

— J’ai peur, fit-elle d’une voix grêle.

— Non, n’aie pas peur, n’aie pas peur ; viens.

Anna quitta silencieusement sa retraite et s’approcha de nous par un détour. Ses petits pieds ne faisaient point de bruit dans les hautes herbes. Elle déboucha de la coudraie et se trouva près du vieillard. Elle avait, non pas huit ans, comme je l’avais cru d’abord à sa petite taille, mais treize ou quatorze. Elle était petite et maigre, mais gracieuse, et son visage ressemblait singulièrement à celui de Kassian, bien que celui-ci ne fût pas joli garçon. C’étaient les mêmes traits anguleux, le même regard étrange,