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— Tu n’as rien donné à Martine ?

— J’ai su trop tard, répondit Kassian ; mais quoi, on ne peut échapper à sa destinée, il ne devait pas vivre, c’est ainsi. Pour ceux qui ne doivent pas vivre, le soleil les chauffe inutilement et le pain ne les nourrit pas, ils sont appelés ailleurs. Oui… que Dieu apaise son âme.

— Y a-t-il longtemps qu’on vous a transférés dans notre pays ? demandais-je après un court silence.

— Il y a quatre ans, dit Kassian d’un air attentif. Du vivant du feu bârine nous vivions tous dans l’ancien pays et la tutelle nous a exportés. Notre maître était bon, doux, pieux… Dieu lui donne le ciel !… Eh bien, la tutelle a certainement jugé juste et cela devait être.

— Où demeuriez-vous auparavant ?

— Nous sommes de la Metcha de la Krassivaïa-Metcha.

— C’est loin d’ici ?

— Cent verstes.

— Eh bien, vous étiez mieux là-bas ?

— Mieux, ah ! mieux ! l’espace est large, libre… des rivières… et puis c’est notre nid. Ici, c’est étroit, sec ; ici, nous sommes orphelins. Chez nous on gravit une colline et… mon