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du bas-côté de la route sans interrompre sa marche lente. Mon cocher et moi saluâmes le prêtre et nous échangeâmes un regard avec les porteurs. Ils marchaient avec peine, leurs larges poitrines se soulevaient. L’une des deux babas était très vieille, très pâle ; ses traits, comme figés par la douleur, avaient une expression sévère et solennelle. Elle allait silencieuse, portant parfois sa main sèche à ses lèvres effacées. L’autre baba pouvait avoir vingt-cinq ans, ses yeux étaient rouges et humides, tous ses traits gonflés. En passant à côté de nous, elle se tut et se couvrit le visage de ses manches. Dix pas plus loin, elle reprit ses lamentations d’un ton d’angoisse contenue qui m’émouvait. Mon cocher suivit des yeux le cercueil balancé, puis se tourna vers moi et me dit :

— C’est le charpentier Martine qu’ils enterrent, Martine de la Riabaïa.

— Qu’en sais-tu ?

— J’ai reconnu les babas : la vieille est la mère ; la jeune, la femme.

— Il était malade ?

— Oui… la fièvre chaude. Avant-hier, l’intendant est allé chercher le docteur, mais on ne l’a pas trouvé chez lui… Martine était un bon charpentier. Il buvait un peu, mais c’était un