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elle est ? On assure pourtant que c’était une beauté. C’est le vodianoï qui l’a perdue. Il ne s’attendait pas qu’on la retirerait si vite ; mais tout de même sous l’eau il a eu le temps de la défigurer.

(J’ai moi-même bien souvent rencontré cette Akoulina. Cette malheureuse vêtue de haillons, affreusement maigre, le visage noir comme du charbon, les yeux hagards, grince sans cesse des dents, frappe du pied n’importe où, sur le chemin en serrant sa poitrine entre ses bras osseux et en se balançant d’une jambe sur l’autre comme un fauve en cage. On lui parle, elle ne comprend pas et rit convulsivement.)

— On dit, reprit Kostia, que Akoulina s’est jetée à l’eau parce que son amant l’a trompée.

— C’est bien cela.

— Et te rappelles-tu Vassia ? reprit tristement Kostia.

— Quel Vassia ? demanda Fedia.

— Celui qui s’est noyé dans cette même rivière, répondit Kostia. Et quel garçon c’était ! Sa mère Feklista l’adorait, ce Vassia ! Elle semblait pressentir, Feklista, qu’il périrait par l’eau. Quelquefois, l’été, Vassia venait avec nous autres se baigner : chaque fois, elle était toute tremblante. Les autres babas, sans penser à rien,