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ment de l’incessante et rapide marche de la terre… Tout à coup, un cri bizarre, aigu, maladif, retentit deux fois au-dessus de la rivière, puis, quelques instants après, se répéta, mais plus loin. Kostia tressaillit.

— Qu’est-ce ?

— C’est le cri du héron, répondit tranquillement Pavel.

— Du héron ? répéta Kostia. Mais Pavel, que m’a-t-on dit hier au soir ? que… peut-être sais-tu cela ?

— Que t’a-t-on dit ?

— Écoute… Je me rendais de Kammennaïa-Griada à Chachkino. J’ai d’abord longé la coudraie, puis j’ai pris par les bas prés à l’endroit où le fossé fait un angle aigu. Il y a là, tu sais, un boutchilo[1] dont une partie s'échangeait en jonchaie. Je côtoyais le boutchilo, mes frères, quand j’entends, pas loin de moi, quelqu’un gémir, mais si plaintivement, si plaintivement !… « Ou ouhi ! Ou ouhi ! Ou ouhi ! » J’ai eu peur, mes frères, il était tard, et cette voix était si plaintive ! J’ai failli pleurer.

— Il y a un an, dit Pavel, des voleurs ont noyé dans ce boutchilo le garde champêtre

  1. Espace creux où les eaux s’accumulent après les inondations du printemps. (Note de l’auteur.)